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Les microbes d'Abidjan

« Microbes », « Vohon-Vohon’ » (Insecte volant nuisible), la population abidjanaise n’a plus de qualificatif assez fort pour désigner ces mineurs délinquants qui sévissent dans la capitale économique de la Côte d’Ivoire. Le gouvernement, dépassé par le problème, préfère les appeler pudiquement « enfants en conflit avec la loi ». Ici, on observe que le phénomène des « microbes » s’est aggravé avec la sortie du Film « La cité de dieu » en 2002. Ce film retrace le parcours sanglant d’enfants issus d’un gang ultraviolent à Rio de Janeiro. La jeunesse désœuvrée ivoirienne semble, il est vrai, s’en être inspirée. Groupements en bandes organisées, trafics de drogues, vols, meurtres... C’est une véritable mafia de mômes âgés de 8 à 25 ans qui secoue toujours le pays. Ces gangs ont connu une réelle montée en puissance avec la crise électorale de 2011. Utilisés à des fins de déstabilisation politique, puis se retrouvant sans perspectives d’avenir, des centaines d’entre eux ont choisi de s’unir pour survivre dans une société violente et déstructurée.
« On est comme une société, on travaille tous ensemble. Il y a des chefs et des « petits ».
(Jo, sous-chef d’un gang de Bocabo) 

Pas une semaine sans une agression à la machette, une bagarre entre bandes rivales pour mettre la main sur un « fumoir » de drogues, voire un meurtre, les « microbes » font régulièrement les gros titres des journaux de faits divers. La police, parfois accusée de complaisance, multiplie les opérations coup de poing sans pour autant enrayer cette délinquance. La population est excédée et n’hésite plus à faire justice elle-même.           
« L’argent guérit tout, il t’en faut, tu n’as pas le choix » (Diomandé / microbe repenti)       
Cette vie d’adolescents de rue, entre prises de drogue quotidienne et adrénaline des actions brutales, la plupart n’en sortent pas. Lui a réussi à décrocher. Assis derrière sa machine à coudre flambant neuve, grand sourire et silhouette fluette, Diomandé n’a rien d’un criminel. Pourtant, il a passé son adolescence au sein d’un gang de « microbes » dans la commune sensible d’Abobo à Abidjan. Il en a même été un leader respecté. Il bascule dans la délinquance quand son père tombe malade, puis décède. Dans l’obligation d’assumer financièrement sa mère et son petit frère, il rejoint une bande du quartier et réalise ses premiers vols. Il n’a que 15 ans. Ce n’est qu’en 2015 qu’il croise la route d’une ONG abidjanaise, Indigo. Deux ans de travail auront été nécessaires pour le sortir de la violence des gangs. Aujourd’hui, Diomandé n’a plus qu’un rêve, devenir le prochain Pathé’O, grand couturier ivoirien qui habille les hommes politiques africains, dont Nelson Mandela.
« On ne sort pas de la rue comme on sort d’un bal»  
(Patricia Bleu / Ong Indigo) 

La réinsertion professionnelle est le seul moyen de sauver ces adolescents mais, les rechutes sont fréquentes. La pression communautaire et familiale est très forte. Quand certains enfants payent le loyer de leurs parents avec l’argent des vols, c’est tout un système économique parallèle qu’il faut combattre. Les parents sont souvent montrés du doigt. Mr koné, Président d’un groupe de travailleurs sociaux à Abobo, souligne les manquements des structures familiales ivoiriennes.
« Nés le plus souvent dans des familles polygames, ces mineurs sont livrés à eux-mêmes et, finalement, c’est la rue qui les a éduqués ». « On ne peut rien leur imposer, il faut que ça vienne d’eux sinon ça ne marche pas. Pour cela, il faut aller à directement à leur contact car même eux ne se considèrent en sécurité hors de leurs quartiers ». 
Un constat partagé par Patricia Bleu, de l’ONG Indigo : « Désactiver » un jeune délinquant prend des mois, des années. Il faut faire face aux « Dragons », ces chefs de bandes qui n’ont aucun intérêt à laisser partir ses petites mains du crime. Les convaincre prend beaucoup de temps ». Job Sodjinou, Président de l’ONG N’Gboadô, met l’État Ivoirien face à ses responsabilités. « Il faut investir dans l’éducation, lutter contre la chute du taux d’alphabétisation ». « L’État doit s’impliquer financièrement.. Nous avons des dons de l’Ambassade France, mais eux nous mettent des bâtons les roues ». Un État qui semble apathique face à un phonème qui touche à présent d’autres grandes villes du pays.

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